Église de Norgeat

   

En pleine moitié du XIXème siècle, tous les habitants du petit village de Norgeat, vont-ils s'unir pour construire, par leurs propres moyens et sans aucune aide quelconque, leur église.
Tout a commencé en 1836, à la mort du sieur Joseph Pujol du hameau de Norgeat qui avait légué aux habitants de son village (par testament du 13 mars 1835) "un champ attenant les maisons, pour qu'il y soit établi, dans l’espace de dix ans, une chapelle pour y célébrer l'office divin". 

Ce legs devait être pour le moins embarrassant, car ce n'est que le 26 janvier 1838 qu'une demande officielle est adressée par l'adjoint de la commune : Raymond Gabarre, de Norgeat au préfet de l'Ariège, pour s'informer des modalités nécessaires à la réalisation de cette entreprise.  

  
Bouton Zoom Château de Miglos
Crédit photo Simon Gardes Août 2007

Une commission syndicale de cinq membres (tous de Norgeat) est créée pour étudier le projet et, après l'acceptation de principe par le conseil municipal de la commune, l'accord préfectoral est donné le 8 mai 1838 ; il sera renouvelé le 8 mai 1842.

Pendant cette période de quatre ans, on s'était occupé de recenser les moyens sur lesquels on allait pouvoir compter pour faire aboutir les vœux du testateur. Ce faisant, les Norgeatois s'étaient coupés du reste de la commune, dont les habitants se refusaient à supporter un nouvel impôt pour une cause à laquelle ils n'adhéraient pas.

Aussi, en février 1843, le maire (Jacques Bacou) sollicite-t-il l'évêque de Pamiers, afin qu'il s'oppose à la construction envisagée, estimant que l'église existante était plus que suffisante pour le service de l'ensemble de la commune.

A la même époque, et devant la détermination des habitants de Norgeat, le préfet demande la création d'un "Rôle de souscription volontaire", qui sera établi comme suit :

pour 82 familles, soit 470 personnes (population totale de la commune en 1841 - 1504 habitants) le montant des fonds recueillis s'élève à 1 555 francs (soit un total équivalent à la moitié environ du budget communal annuel) et la main-d’œuvre fixée à 11605 journées de travail d'hommes, 153 de vaches, 153 de chevaux et 187 de soliveaux". 

Au mois d'avril de la même année, l'architecte départemental se rend sur place pour étudier la construction de la chapelle : un édifice de 25 m de long sur 10 m de large, orienté sud/nord  constitué d'une simple nef dépourvue de la moindre originalité. Son projet sera accepté et les travaux débuteront rapidement. Ils ont été confiés à un maçon d'Orus, Antoine Petit. Un piètre entrepreneur semble t-il, puisqu'au mois de Mars 1846 des lézardes apparaissent dans les murs de la construction à peine terminée. Autorisation est alors sollicitée de la préfecture pour poursuivre le responsable en justice, mais une transaction interviendra en Avril 1847 et un autre maçon effectuera les réparations nécessaires.

C'est le 23 Septembre 1849 que sera créée officiellement, par l'évêque de Pamiers  Monseigneur Alouvry la paroisse de Norgeat et ouverte au culte l'église Saint Hilaire (celle d'Arquizat avait déjà ce saint pour patron). 

En début d'année 1850, le curé de Tarascon (Carbonne) par délégation de son évêque procédera à la bénédiction de cette église ainsi que d'une cloche en présence de plusieurs prêtres du Vicdessos et du curé d'Arquizat (Jean-Paul Augé).

Ladite cloche (la petite : 200 kg environ) porte les inscriptions : "Saint Hilaire priez pour nous. Parrain : Raymond Gabarre ; marraine : Thérèse Pujol. Martin, fondeur à Foix, 1849". Sur la panse : "Jean Fadel, Paul Gabarre, Joseph Salvaing, Jean Pujol". Pour décor, il y a le Christ en croix. Elle ne sera qu'installée provisoirement car le clocher de l'église n'est pas encore construit.Le grand jour arrive enfin pour tous les fidèles du village. Par décret du Président de la République (Louis Napoléon Bonaparte) en date du 25 février 1851, l'église de Norgeat est érigée en succursale et ce, malgré l'opposition réitérée d'une majorité du conseil municipal de Miglos qui, à l’issue de la session extraordinaire du 12 Avril 1850, en avait appelé à l'autorité préfectorale. La petite cloche
Crédit photo
Gérard Lafuente

 

Il ne manque donc plus qu'un desservant à cette nouvelle paroisse. L'évêque de Pamiers va y pourvoir en désignant Théodose Bedel, qui prend ses fonctions pastorales le dimanche 13 Juillet 1851, à l'occasion d'une messe solennelle à laquelle assistent tous les habitants du village sous la conduite du Conseil de Fabrique et des "marguilliers". Dans une communication faite en 1897 à la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, l'abbé Sabas Maury (qui a été curé à Miglos de 1890 à 1906) définit les "marguilliers" : "des employés qui servent l'église, passent les plats pour la quête, allument les cierges, distribuent le pain bénit, font les quêtes à domicile, etc. Il y a 6 marguilliers, changés chaque année à la messe du jour de l'an; ils sont désignés sans avoir préalablement été consultés et le curé proclame le nom des élus au prône... De la sorte, tous les paroissiens, à tour de rôle, doivent servir l'église... Après la messe, et devant la croix, ils doivent prêter serment de fidélité et de zèle, pour le service du Temple Saint". D'après l'auteur, cette curieuse et ancienne coutume est propre à Miglos et on ne la retrouve pas ailleurs. Ceci est inexact et, dans certaines régions, les "marguilliers" sont désignés sous le terme de "fabriciens".

Crédit photo Joël Gardes-Ladène

En juillet 1851, le presbytère n'est pas encore construit ; aussi, un paroissien va t’il fournir gratuitement une bâtisse pour loger le prêtre (bail retenu par Me Teulière, notaire à Capoulet). Commencé le 1er Mars 1852, le presbytère "payé avec les seuls deniers des habitants de Norgeat" sera terminé le 1er Mai 1853.

Qui dit église pense également cimetière. Les Norgeatois y avaient songé dès que l'autorité épiscopale avait livré leur église au culte (fin d'année 1849) et un champ avait été acheté pour cet usage. Les inhumations s'y pratiqueront avant même que soit accordée, en 1851, l'autorisation préfectorale, qui avait été consentie à la suite du résultat favorable de l'expertise réalisée par le médecin Justin Teulière, de Tarascon.

En 1852, le curé Bedel plante huit cyprès dans le cimetière ; l'un d'eux y dressait encore naguère se haute silhouette en quenouille.

 

 

Mais le champ de repos  "d’une superficie de 3 ares et 33 centiares"  va, s'avérer rapidement trop exigu. En effet, dans le courant de l’été 1854, le choléra ravage nos contrées. Il fait son apparition à Arquizat le 3 septembre et atteint Norgeat le 10. Entre le 3 septembre et le 22 octobre 1854, le « maichant mal » va provoquer à Miglos la mort de 234 personnes, dont 56 à Norgeat. Moyennant quoi, au recensement de 1856, la commune compte seulement 1037 habitants, alors que l'on en dénombrait 1305 en 1851. Le cimetière sera agrandi une première fois (de 5 ares, côté nord) en 1855, puis (côté ouest, de 3 ares et 50 centiares) l'année 1892.

La grosse cloche
Crédit photo
Gérard Lafuente
Au mois de juin 1863 a été construit le mur-clocher de l'église et, le 19 Juillet, le curé d'Arquizat (Jacques Célestin Daran) a béni la deuxième cloche (la grosse : 300 kg environ) qui porte : "Parrain : Hubert Daraux ; marraine : Victoire Pujol, veuve Sérac. L'an de Jésus-Christ 1863. Louison, fondeur", et pour décor : étoiles sur le cerveau ; étoiles et rosaces sur la gorge ; feuilles d'acanthe et têtes d'anges ailées sur la panse ; Sainte Vierge et Christ en croix sur la gorge.

Ainsi, le premier dimanche d'août 1863, les deux cloches ont sonné à la volée pour la première fois. Ce carillon égrenait cependant quelques notes dissonantes. L'an 1863 voit effectivement l'épilogue d'une affaire qui avait opposé, dix années durant, le curé et le conseil de Fabrique à Antoine Gabarre, au sujet de la construction d'une grange vis à vis de la porte d'entrée de la chapelle. A la suite des avis favorables donnés par le maire de la commune Jacques Bacou et son adjoint Joseph Pujol Lemagnoutat, de Norgeat. Le nouveau préfet de l'Ariège avait autorisé la construction jusque-là interdite. 

Devant cet échec, le curé Bedel avait noté sur le registre paroissial :"Honte et horreur pour toujours à ces deux administrés !". Bel exemple de tolérance religieuse, en vérité.  

Et les années passent... En juillet 1870, le curé Bedel quitte Norgeat pour Niaux ; il sera remplacé, le 15 septembre de la même année, par Louis Théodore Rouzaud. On ne relève rien de très marquant dans la vie paroissiale du hameau pendant le ministère de ce prêtre, qui a duré plus de vingt ans.

A son arrivée à Norgeat, le curé Rouzaud doit faire effectuer des réparations au sanctuaire, dont les murs se lézardent. Les travaux (coût 400 francs) seront réalisés par Boniface Soucarre, maçon de Miglos. En 1883, c'est la toiture du presbytère qui sera rénovée par Raymond Soucarre (coût de cette opération 550 francs). Courant 1892, le plafond et le plancher du galetas de ce même édifice vont être également refaits ; les travaux se chiffreront à 635 francs.

Louis Théodore Rouzaud quitte la cure de Norgeat le 26 Novembre 1892, pour aller officier à Villeneuve du Couserans. Son départ va coïncider avec la suppression de la paroisse de Norgeat, qui sera effective le 1er décembre 1892.

Cette suppression sonne le glas pour le village. Et, malgré la construction d'une belle école (décidée en 1882, la réalisation débutera seulement en fin d'année 1891 et l'inauguration n'aura lieu qu'en 1894) rien ne pourra plus stopper l'irrémédiable déclin de Norgeat. Les autres hameaux de la commune, comme d'ailleurs tous les villages de montagne ariégeois, connaîtront le même sort.

A la fin du XIXe siècle, l’opiniâtreté des contestataires Norgeatois amènera l'évêque de Pamiers à leur donner, pour quelques mois seulement, un nouveau prêtre Jean-Baptiste Mazenc (7 août 1898 / 31 janvier 1901).

Après quoi , c’est le curé d’Arquizat (en 1901 , l’abbé Sabas Maury) qui prendra définitivement en charge les fidéles de Norgeat. A son tour, la paroisse de Miglos sera supprimée le 1er janvier 1962 et rattachée à Niaux, à la mort du curé Joseph Teulière. Ce prêtre a été inhumé au cimetière du village d'Arquizat, localité où il était arrivé en 1911. Actuellement, et depuis plusieurs années, c'est le curé de Tarascon qui s'occupe de la paroisse de Miglos.

Dernier déchirement pour les gens de Norgeat, "l'Inventaire des biens de l'église", réalisé en application de la loi du 9 décembre 1905, relative à la Séparation de l'Eglise et de l'État. Cet inventaire fut dressé le 26 février 1906 par Ernest Chausson (percepteur de Tarascon) en présence de Pierre Crastres, président du bureau des marguilliers et du conseil de fabrique de Norgeat.

A sa lecture, on peut se rendre compte de l'importance des donations qui avaient été faites par les paroissiens au profit de leur église. En effet, l'estimation globale des biens est chiffrée à 12 437 francs.

Eté 1979 : quelques jeunes gens du hameau (tous bénévoles) nettoient l'église de fond en comble. Un don anonyme (dont le montant est à répartir entre les divers bâtiments publics de la commune) permet ensuite d'y effectuer quelques travaux urgents de restauration. Un hommage aux bâtisseurs, en quelque sorte... Quant au presbytère, il a été aménagé en logements de vacances en 1981.

 

 Source Bulletin  Association des Amis du château de Miglos AACM Gérard LAFUENTE Août 1983